Parcours fulgurant avec deux albums depuis l’été 2017, Phanee de Pool est l’une des plus belles révélations de la chanson en Suisse romande. Les superlatifs pleuvent tant sur la qualité de ses textes que sur la puissance de son spectacle qu’elle a voulu en trois formats: seule en scène ; avec orchestre de chambre ; ou symphonique.
Des plus grandes scènes suisses (Rock Oz‘Arènes, Paléo, Montreux Stravinski, Casino Genève) jusqu’à celles de France, Belgique, Chine ou Corée du Sud, partout elle triomphe. Saluée par l’Académie Charles Cros et le Prix Georges Moustaki à Paris,ou deux fois par les Swiss Music Awards, Phanee de Pool est aussi devenue l’égérie de la marque horlogère Claude Meylan. Avec son charisme naturel et magnétique, rien ne lui résiste, elle fonce et continue de créer l’impossible.
Qui est Phanee de Pool ? Portrait !
Derrière des dents blanches emballées dans une méfiance souriante (ou un sourire méfiant, c’est selon) se planque une guerrière en mousse. Une soldate dans un treillis à fleurs qui brandit une lucidité un chouïa trop lourde pour elle. Dans l’espoir irréaliste de digérer le monde. Putain, c’est immense, un monde, quand on y pense. Et puis, «toutes les minutes dans le monde, ça accuse, ça emprisonne, ça oublie, ça félicite, ça dénonce, ça pardonne ça recommence, ça assassine, ça aime trop, ça ment, ça cache maladroitement». C’est elle qui le dit. Dans la chanson «Toutes les minutes».
Si la Biennoise rechigne à confier aveuglément sa boîte à souvenirs au premier journaliste venu, elle s’exprime. Beaucoup. Vite. Bien. Et en musique. Dans son premier album «Hologramme», elle voudrait qu’on la «déteste d’amour». C’est un indice. Dans un monde (encore lui) qui nous intime pourtant d’aimer dans la haine, ça caresse nos curiosités. Non ?
C’est le 11 septembre 2016, vers 14h50 (elle y tient), que Fanny Diercksen a empoigné sa guitare. La même qu’elle avait violemment remisé six ans plus tôt. Ce n’est pas évident de pousser la chansonnette quand on a poussé son premier cri dans l’amour d’une maman pianiste et d’un paternel en équilibre sur les ondes radio. «Alors, gamine, j’ai commencé la flûte. (Elle rit) Ensuite, j’ai créé un trio. On a tourné un peu par ici. Ça n’a pas pris. Mais, à la vingtaine, il me fallait surtout un vrai boulot. Enfin, un boulot, quoi. Pour mon indépendance. Prouver à mes parents qu’ils pouvaient respirer en paix». Avant de chanter du Pool, Fanny travaillera donc dans la peau d’un poulet. D’un flic. Elle deviendra policière en même temps qu’elle se rasera quelques poils sur son caillou dur comme ce métier. «Je voulais qu’on me respecte. Mais, j’ai tout fait pour qu’on me vire, je crois. Un beau métier gorgé de moments forts. Mais même si j’ai pu soutenir, aider, guider, relever des gens, la police c’est aussi la répression. Et je n’ai jamais eu le coeur assez dur pour bouleverser la vie de ceux qui sont déjà dans la merde».
Sept ans à coiffer le képi comme une promesse de répit. Raté. Mais les retrouvailles avec les mélodies seront fécondes puisqu’une poignée d’heures plus tard, ce fameux 11 septembre gravé dans la poitrine du monde (toujours lui), Fanny Diercksen deviendra Phanee de Pool et postera son premier morceau sur Internet. «Luis Mariano». C’est sous ces premières rimes qu’il faut gratter pour comprendre dans quel état d’esprit la jeune femme s’était frottée au poulailler d’adulte : «J’ai donné mon CV qui tient sur un post-it plié. Je portais une mini-jupe, un push-up, un décolleté. Pas de chance, merde, le mec en face était pédé». En quelques strophes rutilantes et jetées sur un bitume chauffé à la bossa nova, Fanny s’emplume. Enfin !
Une plume solide qui expulse six longues années de sourdines volontaires. Pour sentir le poids d’une vie, certains s’engagent dans l’armée. D’autres dans une carrière en plastique. Aujourd’hui, cette plume, vive, élastique, féroce et souriante, taquine et foutrement maline, Fanny la manie comme autant de mots qu’on aimante sur nos frigos à la mémoire défaillante.
Phanee de Pool fait de la chanson. Un clavier, un ordinateur, une guitare, une voix. «Non, je fais du slam. Ou du rap. Du slap, quoi» On maintient : Fanny chante. Et même plutôt bien. Une voix qui est sortie sans tambouriner aux portes des écoles. «Le premier qui m’a découvert, c’est Jean-Marc Richard !» Mais ce slap, c’est un peu réducteur, non ? «Peut-être, mais la chanson, pour moi, c’est Bénabar». Logique d’être une tête brûlée quand on enflamme les syllabes. «Tu vois ? C’est le bordel dans ma vie». Celle qui, plus jeune, a pendu trop tôt son talent au (télé-) crochet d’une chaîne française a fabriqué son premier disque seule, libre, frondeuse, candide. Maîtriser. Toujours.
Le disque d’une guerrière en mousse qui a eu l’intelligence de se frotter aux malheurs du monde (décidément) avant d’en parler. Un monde que Fanny rêvait de digérer et que Phanee se charge d’apprivoiser. L’amour, le rejet, l’homosexualité, la politique (un peu), la religion, les affaires, les épidermes, nos quotidiens décharnés, les différences. Sans gesticuler. Avec humour. Et les yeux ouverts. Après une heure d’entretien, on comprend enfin. Pour faire connaissance avec Phanee de Pool, il faut la regarder dans le blanc de l’oeuf. Sans avoir peur de briser la coquille. Elle s’en est chargée elle-même depuis bien longtemps.
Texte : Fred Valet